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Psaume (suivi du temple du consumérisme)

Psaume (suivi du temple du consumérisme)

Tu t'accrochais à mon bras alors que nous commencions à marcher vers le chœur en empruntant une allée latérale de la nef. Ce qui nous surprît dès la porte poussée fut la fraîcheur et le silence. D'un premier regard jeté sur l'endroit, je pouvais me rendre compte qu'il n'y avait que très peu de fréquentation, en dehors de trois ou quatre personnes assises sur les chaises se recueillant face au chœur, surtout des femmes, le lieu semblait désert. Une autre surprise me vint de toi, au moment de la caresse de cette fraîcheur du lieu sur ta peau, tu te rapprochas imperceptiblement de moi, je ne sais si tu eus conscience de ce mouvement, je le pris comme un geste de confiance, et peut-être d'amour qui se cachait derrière, car après tout la confiance c'est aussi une question d'amour éclairé, loin de cet amour aveugle qui engage une personne sur des voies qu'elle n'aurait pas choisies. Se perdre, oui, mais pas n'importe où et pas avec n'importe qui, c'est cette définition de toi qui me venait dans l'immédiat. Je penchai mon visage vers toi, vers le lobe de ton oreille, je dus combattre dans cet instant furtif l'envie de le croquer, de le déposer sur le bout de ma langue en soufflant l'air chaud qui venait de la combustion de ma respiration, quelques mots sortirent de ma bouche pour les coucher délicatement et les offrir à ce marteau et cette enclume dont je redoutai les œuvres. Mais tu sus accueillir mes mots en les façonnant avec un sourire consentant. Puisque nous étions dans un lieu de recueillement et de silence, je t'invitai à chuchoter à mon oreille les confessions de tes désirs en utilisant un confessionnal s'adossant à la paroi de la nef. La porte du confessionnal, lorsque je la tirai, n'offrit aucune résistance à ma grande surprise. Je t'invitai d'une main diligente et caressante à traverser ce rideau derrière lequel les pénitents s'asseyaient dans l'inquiète pénombre de leur solitude. Personne alentour n'avait soulevé une paupière. Je pris cette place centrale du confesseur, et une fois assis, je tirai vers moi cet opercule qui m'ouvrit sur ton visage vu au travers d'une grille de bois. Je fus surpris de voir ton visage sous forme de puzzle, tes yeux se découplaient de tes pommettes, tes sourcils devenaient des vagues, ta bouche était toujours ta bouche si désirable...de cette image, j'attendais tes mots, allaient-ils se construire en prenant la forme des cases de ton visage...Je n'eus pour t'inviter à dire que cette phrase : "Bienvenue ma sœur, que votre Seigneur vous guide sur votre voie, et qu'il vous mène à connaitre le bonheur, mais avant tout je vous écoute et je suis là pour vous absoudre de tous les désirs qui vous font brûler dans les enfers". Je ne pus m'empêcher dans le secret de cette alcôve de pouffer de rire, je suis bien persuadée que tu m'entendis. Peu importe, le jeu en valait la chandelle, ou le cierge... Tu te prêtais au jeu, logée dans ce petit espace à demi clos et à demi-obscur qui ne pouvait donner de rendez-vous qu'avec soi-même, et je vis dans cette pénombre, à travers la grille, un léger sourire affleuré sur tes lèvres, tu prononças alors les premiers mots à voix basse de ta contrition :

" Pardonnez-moi ma Mère car j'ai fait œuvre de péché en déniant la personne que j'étais et les désirs qui l'accompagnaient, mes rêves défendus m'emportaient vers des contrées inaccessibles où tout était chair, volupté, vice, désir, jouissance...". Je t'interrompis soudainement :

"Oh! Ma sœur comme vous y allez...mais je vous en prie, continuez sur ce chemin de la pénitence, et sachez que les voies du Seigneur sont impénétrables et qu'elles s'ouvrent sur tous les propos...Continuez ma sœur". Et ainsi tu repris ta confession :

"J'aimais être celle qui pouvait enfin vivre sans crainte d'être vilipendée, rejetée, châtiée, mais tout cela ne faisait que partie de mes rêves, et quand je me réveillais, je me retrouvais dans ce monde contraint qui était mon quotidien, les plaisirs de la nuit se fanaient à l'approche de l'aube naissant. J'ai toujours aimé la lasciveté des corps, surtout quand ces corps sont élastiques et qu'ils épousent la pensée secrète et profonde de l'être, quand la chair se marie avec l'esprit, quand la chair crie et que la pensée s'incline et se soumet. Je n'utilise pas de voile, ou si peu, aujourd'hui je me sens être celle que j'ai toujours désirée, et ce désir d'un corps autre que celui dans lequel j'ai vécu jusqu'à présent, me donne des désirs de l'autre, de son sexe qui m'amènerait vers la jouissance jamais connue puisque toujours enterrée dans la conformité. Dois-je brûler dans les enfers que votre Dieu a créé pour tous ceux qui ne suivent pas le chemin qu'il a tracé ?".

" J'entends votre désarroi ma sœur, répondis-je, mais les feux de l'Enfer font aussi partie des voies impénétrables de votre Seigneur Dieu, et il sait être prévoyant pour les pécheresses en leur offrant des gynécées où elles peuvent se dévêtir sans craindre le froid. Et quant à cette difficulté d'exprimer l'être qu'on se sent être, sachez que ce Dieu a donné naissance à un fils spirituel qui fréquentait les prostituées et qui aimait s'entourer d'hommes, mais bien sur l'Eglise n'a jamais voulu le savoir...Euh..mes paroles ont dépassé ma pensée, ignorez ce que je viens de dire, mais venez plutôt me rejoindre dans cette alcôve où je me tiens, je vous dirai dans le creux de l'oreille la pénitence à laquelle vous allez devoir vous soumettre".

Que toutes les colonnes et toutes les voûtes des cathédrales et des églises s'effondrent en cet instant, j'entendis murmurer le froissement de tes bas et le remous de l'air que tu provoquas en te levant, et quand tu tiras le rideau ce fut comme un tintement assourdissant à mes oreilles, les talons de tes chaussures résonnaient comme un claquement ouvrant les entrailles de la terre, la porte du confessionnal que tu tiras vers toi pour me rejoindre arracha un cri strident à ses gonds, ma raison s'écartait de moi pour te laisser apparaitre dans ce contre-jour comme une créature démoniaque, mais tellement merveilleuse, tellement impeccable, j'en appelais aux marins fidèles d'Ulysse pour ne pas me laisser succomber aux délices des perditions. J'étais la proie des troubles de ma vision et des arythmies de mes flux sanguins. Que n'avais-je dit et qui tomba avec tant de profusion dans les filets de tes sens pour que tu en recueilles la gourmandise de la suggestion. Le trouble passé, j'en revins à ton image dans cette lumière, mais avec plus de certitude à ton corps, et toujours avec cette même délicatesse, tu relevas le bas de ta robe et dans un mouvement accompli tu vins t'asseoir sur mes genoux. Dans cette position, être le réceptacle de ta confession m'était devenu impossible, mais toi, devenue une dévouée pénitente des tracasseries que ces mauvais diables avaient fait naître en toi, tu allumas si bien ce cierge pour parvenir à la rédemption, que te le refuser il me le fut impossible. La flamme parvint si bien à corrompre la mèche que tu en fus surprise, ton cul se mouvait en suivant des cercles pour servir d'éteignoir, mais rien n'y fit, le borgne de Notre-Dame avec toutes ses infirmités hantait le confessionnal. Ma main se posait sur ta cuisse, ne parvenant pas s'agripper à un quelconque obstacle, elle glissa jusqu'à ton genoux, et là craignant la chute à la hauteur de cette falaise, elle s'attarda pour estimer l'effroyable danger de cette piste au contour si lisse, elle prit peur et remonta cette légère pente pour atteindre des parcelles plus bocagères et forestières. Que ce parcours pouvait être épileptique tant il invitait à la perte de contrôle, ma main, seule, était invitée à s'y perdre, je me consumais intérieurement tant ma bouche avait ce désir de rejoindre ma main dans ce périple. Si alentour une sensible fraîcheur pouvait encore se poser sur nos peaux, nos corps exultaient de chaleur, au creux de tes cuisses ma main se brûlait, et ma bouche avait traversé sa solitude en rencontrant tes lèvres. La température monta d'un degré supplémentaire quand nos langues se rejoignirent et que nos salives se mêlèrent. En ce frisson qui me parcourait, je n'étais plus qu'une main et une langue, et une brûlure au bas du ventre, pour allumer ton désir et t'enflammer pour t'offrir les enfers, pour t'inviter dans ce gynécée des plaisirs.

Ton corps n'a pour se cacher que cette légère robe d'été, dessous cette robe tu es nue, telle cette Eve des jardins d'Eden, et lorsque glissa de sur ton épaule cette bretelle si fine, dans ce glissement trop parfait elle précipita la chute du voile qui recouvrait le haut de ton corps et c'est une partie de ton torse qui s'exposa ainsi à mon regard, ton sein au centre duquel était planté un téton exacerbé si bien dessiné et si fier se promena à quelques millimètres de ma bouche, mon désir en cet instant fut de goûter ce fruit délicat et de le prendre entre mes lèvres. Mais tu décidas de laisser vagabonder ce téton sur mon visage pour enfin lui trouver un logis au creux de mon oreille à la porte de laquelle il vint frapper...il titilla si bien l'ouverture que mes terminaisons nerveuses se mirent à tintinnabuler provoquant des décharges électriques presque insupportables, tant et si bien que je dus m'écarter pour retrouver un état normal. Je veux parler d'état normal sans omettre un quelconque détail de la situation qui était la nôtre. Moi assis, toi sur mes genoux si peu vêtue, ton sein qui chuchotait à un de mes sens, mon borgne entre mes jambes qui avait conservé le bon œil pour prendre le bon pied et ton cul de déesse pour lequel Vénus se montra si jalouse qu'elle mit la Lune en quarantaine (complètement inventé)...dans cet abri confessionnal où les langues se déliaient, la rumeur commençait à circuler à l'extérieur. Les anges venaient de nous abandonner, nous allions devoir revêtir nos accessoires de pénitents puisque, dans ce monde, il existait des gens austères toujours prêts à vous rappeler leur croyance doctrinale. Dès les premiers miaulements que tu émis, des exclamations de condamnation se firent entendre. Nous nous remîmes debout, réajustant nos tenues, dans cette pénombre tu rechaussas tes lunettes de soleil comme un ultime espoir de masquer cette once de bonheur que tu venais de vivre. Les talons de nos escarpins claquèrent dignement les pavés quand nous nous dirigeâmes vers la sortie sous les regards consternés. Parvenues sur le parvis inondé de soleil, nous eûmes un sourire l'une pour l'autre, heureuse d'avoir été insolentes et d'avoir bravées les convenances inscrites dans le marbre des pensées. J'approchai mes lèvres des tiennes, tu n'eus aucune opposition, entre deux baisers je glissai dans ton oreille ma confidence :
"tu me plais Mon Aimée...tu me plais et j'ai envie de ta peau, de tes perles de sueur et de salive, j'ai envie des pigments qui colorent si merveilleusement tes yeux, j'ai envie du dessin de ta bouche sur mon épaule, j'ai envie de tes mots sur cette parcelle de mon cerveau, en faire un nid pour qu'ils viennent se poser et éclore, s'envoler ensuite dans toutes les parties de mon corps, et y vivre et mourir. Tu me plais Mon Aimée".

Pour réponse à ma déclaration, tu me fixas de tes yeux, tu entrouvris tes lèvres et immédiatement ta langue s'inquiéta de cette sécheresse déposée par la chaleur de l'été sur leur bord extérieur, elle vint glisser opportunément sur cette fragile membrane et y déposa un mince filet d'eau pour stopper cette aridité naissante...ce fut d'une rapidité et d'une précision saisissante, si bien que je ne sus réellement ce qui me plut le plus, cette langue si active dont on dit qu'elle possède les mots et bien d'autres qualités, ou ces lèvres qui sont la clé de la prononciation syllabique des mots, mais aussi de tant d'autres qualités. Quoiqu'il en soit la conjugaison des deux, dans mon esprit vagabond, me conduisait vers une linguistique et une orthophonie approximative, l' "eau" de la langue rejoignant confusément le "o" phonétique des lèvres. De ce doux rêve en cet instant, où la grammaire n'avait plus de place sous ce soleil et sur cette place, seuls comptaient ces temps anciens de l'apprentissage des sons en fonction des circonstances, comme ce "o" qui épousait si bien le contour du corps de la verge et cette "eau" ,des lacs ou des rivières, lavant les corps pour les baigner dans un sentiment de bien-être. Cette eau, dont on dit qu'elle est source de pureté, qu'elle figure la profondeur des sentiments (dans lesquels beaucoup se noient) rejoint cet "o"tre, sans lequel il n'existerait pas cette phonétique. Nul ne peut se prévaloir d'être, "être" existait déjà dans les temps anciens, nous ne sommes que l'héritage de cette composition...ceux qui pervertissent ces temps anciens, pour laisser penser que nous entrons profusément dans une société moderne, sont les charlatans des temps mesurés à la durée d'une vie terrestre. J'en étais là dans mes réflexions après que ta langue vint délicatement redonner un bain à cette vie si sensuelle de tes lèvres. Là, au milieu de cette place, toi dans cette lumière et cette chaleur, si délicatement et légèrement vêtue, ne portant sous cette robe qu'une cage suspendue autour de ton sexe, je refusais de te voir au milieu des pigeons quémandant leur pitance, mon impatience fut de t'entrainer vers un endroit où nous pourrions enfin nous délecter des promesses jusque-là jamais atteintes....

L'angélus du soir venait de sonner, nous bannissant de ses prières, il nous fallait trouver d'autres cieux moins sectaires, moins rigides, peuplés de gens moins prompts à régurgiter les plaisirs....pourtant, oui pourtant, j'aurais aimé après cette claustration du confessionnal, te faire découvrir l'agora vue du ciel, te voir gravir, toi devant et moi derrière, les marches de cet escalier, dont la solidité fut tant de fois éprouvée durant tous ces siècles, qui menaient vers ce soleil, ou ces cieux, c'est selon l'intérêt. J'aurais aimé te faire découvrir ces monstres qui personnifient les croyances ancestrales et qui se propagent encore aujourd'hui dans les esprits simples qui errent malheureusement dans les labyrinthes du pouvoir, mais ceci est une autre histoire. Un autre jour viendra, où toi devant et moi derrière, je ne réclamerais plus rien aux architectures verticales que les bâtisseurs des siècles passés nous ont léguées. Pourtant je regretterais ta robe légère indomptable, tes jambes si bien nées dans ce cocon de chaleur, mon regard se levant vers ce mouvement de tes cuisses, observant la contraction et le relâchement de tes muscles à chaque effort et chaque réconfort, la vue de ton cul se baladant de droite et de gauche à chaque marche où ton pied délicat, qu'épouse si bien un escarpin carmin, se poserait avec prudence, et le cœur de ma main n'aurait eu que ce désir de vouloir remonter et caresser tes jambes, tel un volcanologue à la découverte de chaque pore de ton épiderme, de chaque monticule, de chaque creux, de chaque espérance, de chaque soupir, de chaque indignation, de chaque révolte et chaque abnégation, les volcans sont tellement imprévisibles que l'expertise consciencieuse et amoureuse est parfois nécessaire...et puis, ...et puis je me désolerais de n'avoir vu cette fente que plus aucun tissu ne venait masquer, puisque le seul qui existait jusqu'alors, comme un précieux trophée tu me l'as offert, et depuis il vit intensément dans la chaleur de mon sac-à-main, jusqu'au moment où je l'en ressortirais pour en humer toutes les saveurs et tous les parfums qui embaumaient ton corps et plus profondément tes intimités, et qui restent inscrits dans toutes les fibres...et puis, puisque les soupirs n'en finissent plus de vivre leur regret, je m'inventerais un monde de liberté sur cette planète de ton corps qui cherche dans cette escalade sa place au milieu de cette révolution, je dénouerais tous les liens qui entravent, j'éteindrais tous les souffles viciés pour insuffler le vent de la liberté, de la légèreté, pour libérer ton corps de la gravitation des suggestions qui n'ont que le néant comme perspective.

Tant d'autres sensations, encore inconnues, encore insondables, encore inaudibles, encore aveugles du décor de ta peau viennent virevolter autour de moi et je me dis que tu ignores encore toute l'étendue du plaisir que ton corps peut t'offrir, tout comme je peux l'ignorer concernant mon propre corps, le plaisir de la veille exige d'être répété, et un peu plus loin d'être plus intense. Ce qui est estimé fait partie de l'ignorance de ceux qui pensent savoir en estimant, ces gens vivent dans un monde où tout doit être pesé, mesuré, calculé, calibré, je ne voudrais pas être leur miroir. Quand je regarde tes jambes et ton cul bouger, je n'estime pas la proportion qu'il prend dans le monde qui l'entoure, je ne le compare pas, il est là, devant moi, au-dessus de moi, j'aurais même cette tendance à accélérer mon ascension pour que mes yeux, mon nez et ma bouche viennent s'y coller, s'y plaquer, et que ma langue, sortie de son étui, entreprenne ce parcours de la reconnaissance des lieux volcaniques, au risque de sentir la brûlure de la lave.

Parvenues à la cent-quatre-vingt-seizième marche de cette ascension, nous nous posâmes, toi au-dessus et moi en-dessous une marche plus loin, avec toujours cet avantage sur toi d'être le moissonneur qui viendra cueillir le pied. Mais à la différence de ce moissonneur, je m'y attarderai sans me précipiter, car après tout, les moissons ne sont bonnes que si l'on y a mis beaucoup d'amour. Bien sur il ne s'agit pas non plus de négliger le temps, je veux dire ces nuages qui pourraient éventuellement provoquer quelques désagréments dans cette journée de moisson. C'est ainsi que sous la délicatesse de cette soie qui contenait si précieusement la forme de ton pied, et après avoir lentement fait glisser cet escarpin qui l'empanachait, comme un fin connaisseur(se), je pris son extrémité dans ma bouche pour en connaître toute l'acidité, mais aussi tout le miel, supplices si désirables de tous les plaisirs. Tu ne disais rien, ta peau se contractait sans que tu puisses la contraindre à plus de relâchement, elle se resserrait, abandonnant ce fin duvet qui recouvrait tes bras à ce frissonnement du désir. Mes lèvres remontaient cette ligne que traçaient tes jambes croisées formant collines et vallons. Je n'avais qu'un seul désir, celui de te faire gravir cette deux centième marche, au fur et à mesure que tu reculerais, je savais que le bonheur serait au bout. Mon sexe se gonflait, et mon désir était de sentir tes lèvres se poser dessus...

Nos talons aiguilles frappaient les pavés de la vieille ville et nous avions, à chacun de nos pas, toutes les attentions pour ce revêtement dallé de l'époque moyenâgeuse qui enténébrait tant de pièges pour les attaches si fines et si fragiles de nos chevilles. Sur les pavés de ces mêmes ruelles, nos escarpins si légers ignoraient le martèlement des sabots des paysannes venues vendre sur le marché le produit de la récolte de la ferme aux bourgeois de la ville. Nous étions collées l'une à l'autre, nos doigts se rejoignant discrètement dans l'interstice de nos corps. Je souriais ironiquement à cette impérieuse solitude du temps avalant les heures, les jours, les ans sans rien donner en échange. Malgré tout, je ne peux lui en vouloir complètement, elle fut une fidèle compagne qui ne cessa de m'observer en me laissant libre de vivre mon évolution. A cette vitesse, je vais finir par penser que le temps lent, s'il peut meurtrir le miroir, jamais il ne pourra faire de la solitude son alliée.
Si mon attention se dirigeait vers mes pas épousant ce sol, et si mon corps souriait à ton corps à cette hauteur de pied en cap, mes pensées occupaient toujours cette cent-quatre-vingt-seizième marche sur laquelle tu étais assise. Au fur et à mesure que mes lèvres remontaient tes jambes, je sentais cet insaisissable frissonnement de ta peau à travers la soie de ton bas, et de ma main la moins attendrie par ce phénomène, puisque l'autre suivait fidèlement mes lèvres, je commençais à libérer cette soie de la tension que lui imposait un porte-jarretelles rouge satiné. Alors que ton bas se plissait sous l'effet de cette libération, j'entendis le murmure suave de ta voix à mon oreille...

«Et si nous allions faire quelques emplettes, l'autre jour je me suis extasiée devant un magnifique bustier exposé en vitrine, j'aimerais tant le revoir...». Alors que j'étais à quatre marches du bonheur, il me fallut descendre précipitamment les cent-quatre-vingt-seize marches qui me séparaient de ta proposition et retrouver ce pavé, et c'est le cœur battant, manquant d'oxygène et de discernement, que je te répondis «Oui, mais y'a combien de marches jusqu'au bonheur des dames...». Tu ne compris rien à ma réponse, et je ne compris rien au bonheur que tu me proposais dans cet instant, j'étais restée suspendue à cette cent-quatre-vingt-seizième marche en me promettant de te faire grimper jusqu'à cette deux-centième marche.
Published by sisterM
2 years ago
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sisterM
Merci Katy, si les ascenseurs peuvent présenter quelques avantages, les marches ont dans l'effort qu'elles soumettent à les gravir d'autres avantages bien précieux...
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KatyTravice
Dieu soit loué(!), j'ai lu la suite du Psaume avant celui-ci et je savoure d'autant mieux le passage du confessionnal à la cabine d'essayage. Cette confession me remet en  mémoire des souvenirs du collège catholique où j'ai connu mes premiers émois avec des hommes en robe un tantinet pervers (pour certains)...la suite de mes orientations en témoigne. La montée des marches est une belle évocation. Quelle plume, assurément bien taillée !
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sisterM
Le désir prend nais-sance et doit vivre en s'ouvrant sur le monde. La cathédrale en ce sens prend toute son ampleur dans la contradiction qu'elle offre, les bâtisseurs l'ont élevée quand les personnages obscurs ne vivaient que les cryptes. La jouissance des uns qui montaient vers les cieux avaient pour opposé la flagellation des autres pour se punir de la jouissance des uns, et la leur également. Le parvis inondé de soleil et de chaleur vient en effet parlé de cette sensualité des corps. Tout ce qui est à l'intérieur de la cathédrale parle des contradictions.
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chienne-sophie
Tout à fait d'accord avec vous et ce plaisir est bien réel.
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Il semble que le désir doive toujours être marqué par le passage par la souffrance de l'impossibilité, comme si le chemin n'était pas linéaire mais semé d'obstacles que l'on veut s'interposer à la réalisation de ce que l'on veut. La cathédrale est peut-être le symbole de ce sens de la négation ou plutôt du contournement de l'érotisme. Mais alors les hésitations semblent se fondre et, du moins cette fois, la sensualité s'impose et suit son cours. . .
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Merci du trouble que j'ai ressenti à cette lecture.
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sisterM
Merci du temps passé à lire, et d'en apprécier le contenu..
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Sublime
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sisterM
merci, les cathédrales sont des lieux de majesté qui ensorcèlent...parfois.
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sisterM
merci, cela doit rester un plaisir...
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Erica250
Superbe texte tres bel écrit, et cette transposition avec ce le lieu ? ?
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chienne-sophie
belle lecture, merci.
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